Troisième jour et fin, mercredi 18 mars 2009
Colmar, Mulhouse, Saint-Louis
Je pars tôt à la gare. Je suis matinale et j'aime voir la ville s'éveiller. Je regarde tout, les immeubles, les vitrines, le tram, je prends des photos, je veux me souvenir de Mulhouse, de l'Alsace, des lycées, des élèves, de leurs profs.
Je passe devant le monument aux morts. Depuis longtemps, ce genre de monuments ne me laisse pas indifférente. A cause des dates, des noms.
La façade de la gare est pleine de pansements blancs aposés après la guerre pour cacher les dégâts des combats, des bombardements particulièrement intenses à Mulhouse.
Dans le train pour Colmar, une femme, cheveux gris coupés court, me tend sa carte "Douane française": Où allez-vous ? D'où venez-vous ? Je m'embrouille un peu. Depuis trois jours, je n'arrête pas d'aller et venir. Je suis la seule à être interrogée dans le wagon. Je m'interroge: sur quels critères l'employée des douanes choisit-elle d'aller vers telle personne plutôt qu'une autre ?
Colmar. Je connais cette ville pour y avoir fait un reportage il y a plus dix ans ! Mireille m'attend avec un exemplaire de Bienvenue à Goma. Tout de suite, je tiens à remercier Mireille. Son engagement, sa générosité, sa présence... Bref, elle gare la Twingo dans le quartier résidentier du lycée Schongauer et nous voilà dans la salle du self. Il y a là des élèves de plusieurs établissements, leurs enseignants et documentalistes.
Comme dans les
films, vous buvez
du whisky pour
écrire vos livres ?
Eclats de rires.
Je ne bois pas, je ne fume pas, je ne sniffe pas... C'est peut-être décevant, mais écrire, pour moi comme pour d'autres, c'est du travail. C'est souvent pénible, difficile. On s'y reprend à plusieurs fois et, parfois, il y a des moments, rares, de grâce. On a mis deux mots côte à côte, on ne sait pas trop comment ils sont arrivés là, est-ce l'inspiration?
Une muse, peut-être!
dit une élève dans la salle.
Une muse, oui ! En tout cas, on est heureux de voir ces mots ensemble, à cause de la musique qui se dégage. Alors, là, oui, on plane sans drogue, sans alcool, ça fait du bien ! La musique des mots donne du plaisir, un sentiment très physique même. D'ailleurs, écrire pour moi n'est pas une activité intellectuelle, ça vient du corps, du coeur, ça donne la chair de poule, ça fait pleurer, on se sent vivre, intensément !
La discussion continue, très riche. Elle se précise souvent sur des aspects particuliers qui montrent qu'ils ont lu le livre, avec attention, qu'ils ont, là aussi, préparé cette rencontre avec leur prof ou les documentalistes. On ne dira jamais assez l'importance du travail des documentalistes pour amener les jeunes vers les livres, pour les orienter aussi dans la jungle Internet.
Après, je dois dédicacer un nombre impressionnant d'exemplaires de mon livre. Certains établissements les donnent d'ailleurs aux jeunes qui participent au Prix littéraire. Une jeune fille s'approche de moi, elle vient du Congo-Brazzaville, elle vit en France depuis quatre ans. Tout à l'heure, elle m'a demandé:
Est-ce que
les événements du Rwanda
peuvent se reproduire ailleurs,
dans un autre pays ?
J'ai dit OUI, bien sûr ! Après 1945, on a dit plus jamais ça et l'Histoire se répète. La différence, c'est qu'aujourd'hui, on sait tout, à peu près tout. Des moyens de communication qui nous disent le monde en direct ! A côté de cette adolescente, il y a Zutka, une jeune fille bosniaque. Je me dis qu'il y a des lectrices (des lecteurs) chez qui mes écrits et mes paroles doivent avoir une résonnance particulière. J'y ai songé tout au long de ce voyage en Alsace. J'ai bien conscience d'avoir eu devant moi des individus avec des cultures et des histoires particulières. Ecrire n'est pas un acte anodin. Ils le sentent bien eux aussi, ils me posent toujours cette question:
Madame, est-ce que
vous avez reçu des menaces ?
Est-ce que vous avez été censurée ?
Alexandre s'approche de moi. Il me confie s'être couché à 4 heures du matin pour finir Bienvenue à Goma, la veille du jour où la documentaliste a organisé une réunion pour préparer ma venue. A côté, Doris, la documentaliste confirme: "Je n'en croyais pas mes oreilles... Il m'a dit la vérité car, ensuite, pendant la réunion, j'ai bien vu qu'il avait vraiment lu le roman!"
Il y a aussi Elodie qui vient faire signer un livre. Pas pour elle, mais pour sa soeur qui est à l'hôpital et qui a adoré le livre. C'est ce qui est d'ailleurs assez étonnant. Les jeunes ne lisent pas beaucoup, mais les livres circulent dans les familles.
Visite ensuite du Colmar historique, touristique, avec Mireille et Catherine. C'est sublime, bien sûr, surtout sous le soleil. Déjeuner dans un restaurant alsacien typique où Doris nous rejoint. Je choisis Un Baeckhof !
Mireille me raccompagne à la gare, mais le train a une heure de retard. Tout mon programme de l'après-midi risque d'être perturbé ! Heureusement, Mireille ne tergiverse pas : elle m'accompagne en voiture à Mulhouse, me dépose sur un parking où Jean-Michel me récupère et m'emmène au au CFA Roosevelt.
Là, ce sont des apprentis qui m'attendent, certains ont des physiques baraqués et carrés, ce sont des futurs bouchers ! Les questions s'enchaînent. On veut savoir pourquoi la France s'est fourvoyée au Rwanda ? Ce genre de questions est vraiment difficile parce que je ne suis pas une spécialiste de la question, juste une citoyenne qui s'est informée sur la question et qui se sent concernée par l'action de son pays.
Comme je suis arrivée en retard, la rencontre ne dure que 3/4 heure, mais elle est intense. Malheureusement, je ne peux pas discuter avec eux après mon intervention.
Direction Saint-Louis. Le lycée Mermoz est un établissement immense tout près de la ville suisse de Bâle. L'Allemagne n'est pas loin non plus. Il y a, ici, plus de 2000 élèves, le bâtiment est assez beau. Ici encore, les profs et les documentalistes sont très motivés. Le proviseur adjoint me présente aux élèves. J'ignore quelle filière ils ont choisi. Je sais, en revanche, que certains préparent l'Abibac, un double diplôme français et allemand. Décidemment, où que j'aille, l'Allemagne me rattrape toujours...
Là encore, le temps file, j'ai une pile de romans à signer, je ne dois pas rater mon train car la grève commence ce soir à 20 heures. Une fille qui est venue à cette rencontre simplement attirée par la couverture de mon livre me pose encore des questions. Son cousin lui avait demandé de faire une fiche de lecture à sa place. Elle lui a dit non, mais a eu envie de venir voir. Maintenant, elle veut vraiment lire le livre !
Les profs, Thierry et Jean-Michel, me préparent des parts de Kouglof pour le voyage.
Je repars, comblée par ses rencontres...
avec une terrible envie d'écrire !