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Zou ! Le blog d'isabelle Collombat
4 décembre 2014

Pour Léo

L’homme avait garé sa moto sous l’acacia. Puis il avait enlevé son casque et il avait traversé la salle où tous les convives s’étaient déjà installés dans la salle du mariage. Un gars grand, costaud. Les cheveux en bataille, deux billes claires enfoncées sous ses sourcils marqués et la bouche immense dans un sourire lumineux. Un beau gars qui, quand il vous regardait, même s’il maugréait quelque chose entre ses dents, parfois un peu grognon, râleur, vous envisageait en entier, franchement, pour de vrai. Et dans ces yeux là, il y avait l’évidence. Il ne mentait pas. Il était même parfois un peu cash, il parlait sans ambages. Il ne cachait pas ce cœur qui palpitait sous l’armure, hyper sensible, et qui faisait de lui un être passionné, parfois en révolte, le plus souvent curieux des autres.

IMG_0774

Ce jour-là, la mariée était en rouge. Il avait dû la trouver un peu allumée. Une jeune femme dans un accoutrement décalé dans la grande maison entourée de cèdres majestueux. Elle avait troqué sa robe en soie crème pour un áo dài, une robe vietnamienne vermillon à motifs dorés, et un large pantalon blanc qu’elle avait commandés à un tailleur installé dans le 13ème arrondissement. Elle n’avait pourtant, à la connaissance de ses propres parents, aucune origine asiatique. Mais, ce jour-là, avait-elle décrété, elle était libre de faire ce qui lui chantait. Son mari, lui, vêtu d’un costume noir, s’était permis, pour seule fantaisie, une cravate d’une couleur flamboyante, assortie à sa robe. Un rouge passion, une rouge couleur de vie.

Le marié n’avait pas douté que l’homme à la moto viendrait passer quelques heures avec eux. Ils avaient en commun, probablement, une énergie, un besoin d’absolu, une même exigence dans l’existence qu’on peut appeler sincérité et honnêteté. Pour le reste, ils étaient en tous points dissemblables. Mais, quand ils partaient ensemble, sur le terrain, ils réussissaient à se compléter parfaitement et la jeune mariée était rassurée de les savoir tous les deux.

Cette année-là, ils avaient été nombreux dans cette salle où le banquet du mariage battait son plein à avoir morflé. Trop de chagrins, trop de larmes, trop d’angoisses. Et les jeunes mariés, qui étaient loin de se connaître depuis la veille, déjà pères et mères de deux jeunes enfants, avaient décidé de s’unir officiellement pour pouvoir organiser une fête, et se réjouir sans oublier évidemment ceux qu’ils avaient perdus cette année-là sur la terre d’Afghanistan. L’écho de leurs rires devait pouvoir s’envoler jusqu’aux chers disparus et les faire exister, là, partout. Avec eux. Quand ils mangeaient, dansaient, chantaient, s’embrassaient, riaient et pleuraient encore de joie cette fois-ci.

Je veux me souvenir toujours de l’éclat qui brillait dans le bleu des yeux de l’homme à la moto, ton papa, Léo.

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