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Zou ! Le blog d'isabelle Collombat
6 avril 2021

Génocide des Tutsi au Rwanda : Fiction et réalité

Comme je l’ai déjà écrit sur ce blog, la date du 6 avril reste, pour moi, une date indélébile. Ce jour-là marque le début du génocide des Tutsi qui, en 1994, au Rwanda, fait près d’un million de morts. En trois mois, la violence qui se déchaîne partout dans chaque quartier, chaque rue, chaque village, chaque ville est inouïe. Les extrémistes hutus au pouvoir ont décidé d’anéantir la population tutsie et de massacrer les hutus modérés. On dit de ce génocide qu’il est un génocide de proximité parce que, contrairement à ce qui s’est passé en Europe pendant la deuxième Guerre Mondiale, les tueurs ne sont pas seulement des soldats, des fonctionnaires et des employés recrutés pour tuer. Toute la population est sommée de partir « à la chasse au tutsi ». Le tutsi qualifié de cafard, de moins que rien, qu’on écrase comme un insecte nuisible.

Le génocide des Tutsi au Rwanda n’est pas qu’un chapitre d’une histoire lointaine. Il appartient aussi à notre histoire, nous les Français. En effet, en 1994, quand les tueries éclatent, notre pays, présent dans ce pays depuis 1975, soutient le régime extrémiste en place au Rwanda en formant ses soldats et en lui livrant des armes. Face à l’horreur, il continue ses livraisons. Il aide aussi les dirigeants rwandais, quand la déroute s’annonce, à s’exiler. 

En ce qui me concerne, cette histoire a fortement marqué mes débuts de journaliste. J’étais en stage au sein de la rédaction de RTL à Paris quand j’ai découvert l’existence du Rwanda en même temps que les massacres qui étaient perpétrés. J’ai recueilli, à ce moment-là, par téléphone, plusieurs témoignages de ce qui était en train de se passer. Une horreur.

Je me souviens de ma sidération face aux événements qu’à travers la voix de mes interlocuteurs, les bruits que je percevais comme des tirs ou des cris, je vivais à la fois à distance mais aussi très, très près. Rien de telle qu’une voix pour prendre conscience de la brutalité des choses. La vie et la mort se côtoyant de près.

Quelques semaines plus tard, de retour dans la rédaction de RTL, après avoir obtenu mon diplôme de journaliste, je côtoie des grands reporters de retour du Rwanda que leur séjour là-bas a rendu particulièrement silencieux tandis qu’à la télé, des files de réfugiés rwandais affluent à Goma au Zaïre (ex RDC) et tombent comme des mouches, conséquence d’une épidémie de choléra. J’apprends que RTL est prête à détacher un de ses journalistes pour travailler dans la radio que Reporters sans frontières a mis en place à Goma pour aider les réfugiés rwandais qui s’entassent dans des camps. J’ai 23 ans et je suis candidate.

Je me souviens d’un déjeuner dans une brasserie parisienne des grands boulevards pour préparer le départ et, déjà cet avertissement : « attention, sur place, RSF passe pour une organisation qui aide les tutsi et peut être pris pour cible ». J’écoute, j’enregistre et je ne comprends pas encore que les camps de Goma ne comptent pas de victimes du génocide. Les camps de Goma sont remplis des bourreaux et de leurs familles.

Deux-jours plus tard, à peine vaccinée et mon sac de couchage sous le bras, je suis sur le tarmac de Roissy et j’embarque dans un cargo Antonov qui participe au pont aérien humanitaire. 

Sur place, je découvre tout : la réalité des camps de réfugiés, les ravages du choléra, l’omniprésence des agences onusiennes, le rôle essentiel d’innombrables ONG internationales, souvent très professionnelles, parfois incompétentes, l’inconséquences des envoyés spéciaux, la dureté des grands reporters du monde entier, la place des militaires internationaux et le rôle incontournable de l’armée française que nous fréquentons pour nous nourrir, nous loger, nous fournir en carburant, etc. 

Goma2

Les semaines passent et le malaise grandit. Quand je rentre, le directeur de la rédaction de RTL me sermonne : « alors, vous n’avez rien vu ? ». J’ai l’impression de n’avoir rien compris surtout de Goma et du Rwanda. Des intuitions suffisent-elles ? J’écris malgré tout un papier pour RTL sur les soldats du régime extrémiste que j’ai vus, après leur déroute, en train de reprendre des forces dans les camps de Goma où ils confisquent l’aide internationale et où ils se préparent à reprendre le combat.

Je n’ai pas lu, à cette époque, les articles parus dans le Nouvel Obs et dans l’Humanité qui indiquent que l’armée française a livré des armes à l’aéroport de Goma à destination des troupes gouvernementales.

Les années passent. Je lis tout ce qu’il y a à lire sur le Rwanda. Les reportages et les témoignages. Les livres et les analyses. Je me repasse souvent le film des choses vues à Goma. J’essaie de leur trouver un sens. C’est donc ça, l’humanitaire, aider les bourreaux et oublier les victimes ? C’est donc ça le journalisme, se contenter de relayer la parole officielle ?

J’arrête le journalisme. Je deviens autrice de littérature jeunesse.

À Pâques 2007, aux alentours du 6 avril, je commence l’écriture de « Bienvenue à Goma » qui s’inspire de mon expérience de 1994 et qui paraît l’année suivante. Puis, en 2015, paraît « La mémoire en blanc » que je vois comme une suite, même si les deux romans n’ont ni les mêmes personnages et ni la même histoire.

Capture d’écran 2020-03-02 à 11La mémoire en blanc

Ces deux romans parlent de l’implication française dans ce qui s’est passé au Rwanda en 1994.

Je suis souvent invitée dans des collèges et lycées pour parler de ces livres et raconter ce que j’appelle un chapitre de l’histoire de France.

 

 

Festival du livre jeunesse d'Annemasse, 2010. Intervention à la Festival du Livre jeunesse d'Annemasse, 2010

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En 2012, je commence à penser à l’adaptation au cinéma de « Bienvenue à Goma ». je rencontre des gens, « pitche » mon projet. Mes interlocuteurs français font la moue. S’attaquer à ce genre de sujets, c’est casse-gueule, c’est politique et donc pas très vendeur. Les Européens se montrent plus enthousiastes. Je convaincs, malgré tout, des producteurs, un réalisateur, mais cela ne suffit pas. Neuf ans plus tard, le film n’a toujours pas vu le jour. Trop délicat comme sujet le Rwanda. Difficile de convaincre des diffuseurs que cette histoire qui se passe en Afrique et qui évoque une part sombre de la présence française peut attirer des spectateurs. En pandémie plus que jamais.

C’est, pourtant, en pandémie que vient la lueur. Le rapport d’une commission d’historiens confirme, aujourd’hui, officiellement, ce qu’on disait depuis des années et qui passait pour des sornettes, des exagérations. La presse prétend le sujet complexe. Serions-nous trop bêtes pour comprendre ? La presse aime bien opposer les avis, le pour et le contre. Tant pis si elle se laisse manipuler par ceux qui aiment noyer le poisson. Pourtant, il y a les faits : le gouvernement français savait ce qui se passait au Rwanda depuis 1994 et ça n’a pas empêché certains de ses dirigeants de laisser notre pays jouer un rôle dans le génocide des Tusti au Rwanda. La commission parle d’aveuglement. On peut en douter. Est-ce de l’aveuglement d’avoir toutes les données en main, de ne pas empêcher un génocide et, pire, de continuer à soutenir un gouvernement génocidaire ? Les preuves, les documents sont accablants. 

En tout cas, grâce à ce rapport, je peux maintenant dire aux futurs lecteurs de mon scénario : non, je n’invente rien. C’est la HONTE pour la France. Le rapport le confirme : en 1994, presque cinquante après la fin de la deuxième Guerre mondiale, au plus haut niveau de l’État français, quelques individus, un clan, ont conduit la France à soutenir un gouvernement génocidaire. Certains officiers ont tenté d’alerter le pouvoir et ont été sanctionnés pour l’avoir fait. D’autres, au contraire, ont protégé, en connaissance de cause, des tueurs. 

On ne peut vraiment plus dire qu’on ne savait pas et que les choses sont trop compliquées. 

On ne peut plus prétendre que ceux qui décrivent cette réalité depuis des années, journalistes, écrivains, chercheurs, victimes et tribunaux internationaux exagèrent et juger que le tableau qu’ils dressent ou qui émanent de leur travail est trop simpliste, exagéré, radical.

Puisque des historiens ont maintenant  parlé et que le récit officiel se rapproche de ce que tous ces gens assurent depuis des décennies, sans arrêt contredits par les gardiens d’une certaine vérité, n’est-il pas temps de laisser la fiction raconter l’Histoire de la France au Rwanda ? Raconter ce qui a eu lieu en notre nom, nous les citoyens français. 

 

 

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