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Zou ! Le blog d'isabelle Collombat
25 novembre 2015

Après le silence

En rentrant chez moi en voiture, j'ai traversé des paysages déjà enneigés et je me suis sentie lavée. Fatiguée, mais quasi neuve. Quelques jours après les attentats, je suis donc sortie de mon silence, de la sorte d’engourdissement qui avait saisi mes membres, mon corps, ma tête pour aller passer quelques jours dans des collèges et des lycées de la région de Montbrison, dans la Loire, notamment à Boën, Verrières, Panissières. Là-bas, j’ai rencontré des élèves de la sixième à la terminale et leurs enseignants et nous avons parlé de mes romans. Souvent, ces interventions se sont transformées en véritables échanges. C’est ce que je préfère évidemment quand je me sens assez confiance pour tendre des perches et quand les ados n’ont pas peur de rebondir sur ce que je dis et que nous pouvons discuter. Partout, j’ai été très bien accueillie par des documentalistes et des professeurs de français que j’ai trouvés très investis, très engagés dans leur métier. Entre deux interventions, nous avons parlé de ce qui s’est passé le lundi d’après, quand toute la France comptait sur eux pour parler aux enfants. Du silence dans la classe et des silhouettes crispées, là où d’habitude il y a des tourbillons, des bavardages, de l’énergie débordante.

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Je leur parle de ce qu’est la fiction, une recréation du monde réel, une réappropriation de la vie, de la langue. Est-ce que cela veut dire que pour vous les livres sont vivants ? demande un garçon en souriant. Et cette autre question récurrente déclinée de multiples façons : pourquoi écrivez-vous ? Je pourrais à chaque intervention donner une nouvelle explication. En entendant l’autre soir Boris Cyrulnik sur France 5 et tous les autres invités de « La grande librairie », j’ai pensé que, pour moi, le roman était vraiment le moyen de me mettre à la place de l’autre, d’entendre d’autres voix, d’essayer de comprendre celui qui n’est pas comme moi.

Dans la plupart des classes, les jeunes avaient souvent lu au moins deux ou trois de mes livres. Comme souvent, nous avons parlé du travail d’écrivain. J’exprime souvent ouvertement les doutes qui sont les miens. Je ne suis pas une adulte rassurante dans le sens où j'essaie de leur apporter plus de questions que de réponses. Et que dire de ma persistance à n'écrire que des fins ouvertes ? Ils voudraient des certitudes. Je préfère compter avec leur créativité, leur invention pour se faire une idée de ce qui vient après. Il n’y a pas que les livres qu’un auteur écrit. Il y a aussi ceux que le lecteur se façonne.

Une jeune fille me suit après la rencontre : Est-ce que vous avez peur ? Dans la surprise et le froid du vent cinglant, je balbutie quelques mots. Je voudrais dire que la peur n’empêche pas d’être debout. La même jeune fille veut savoir si elle, élève en lycée pro, peut espérer devenir écrivain un jour.

Dans un autre établissement, des élèves se lèvent les uns après les autres et me regardent droit dans les yeux pour me dire ce qu’il garde de mes livres, le souvenir d’un mot, d’une scène, d’un  dialogue, d’une idée. Les voir se redresser devant moi me bouleverse. Je ne peux pas leur dissimuler mon émotion. Je sais de moins en moins le faire.

 

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