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Zou ! Le blog d'isabelle Collombat
5 avril 2010

Berthe et moi

Lundi de Pâques, du soleil sans doute comme aujourd'hui, des familles endimanchées, le plaisir de la lecture. IMG_1035

Je lis ces mots dans le livre de Berthe Kayitesi, Demain ma vie, aux éditions Laurence Teper, 2009, page 107 :

"Je suis partie de chez mes parents le lundi de Pâques, au matin du 4 avril. C'était un lundi ordinaire, rien dans l'air ne présageait que c'était la dernière fois que je voyais mes parents, que la nuit du 3 avril était la dernière que je passais avec eux".

Le lundi 4 avril que Berthe évoque dans son livre est celui de l'année 1994, l'année du génocide des Tutsi au Rwanda.

Entre le 6 avril et le mois de juillet, 800 000 à un million de personnes ont été tuées parce qu'elle étaient tutsi ou parce qu'elles étaient en désaccord avec la politique mise en oeuvre par le gouvernement extrémiste hutu.

A l'époque, Berthe n'avait pas encore 15 ans.

Je lis ses mots et ils me renvoient à ma propre existence, à ce que j'aime dans ma vie. La douceur de moments de mon enfance. Des bonheurs en famille. Des chasses aux oeufs déposés par les cloches dans le jardin avec les enfants. La vie belle quand elle est ordinaire, entre une course à la boulangerie, une promenade en forêt et une discussion dans la cuisine entre le dessert et le café. Une voisine que l'on rencontre par hasard et qui me confie des choses de sa vie.

D'un continent à l'autre, il y a des lundis qui ont la même saveur, des êtres qui ont des préoccupations semblables.

Qui peut avoir l'audace de croire que ce qui s'est passé au Rwanda,

il y a seize ans maintenant,

ne le concerne pas ?

Personnellement, à la lecture du livre de Berthe, j'ai compris pourquoi je ne m'étais jamais remise de mon bref séjour à Goma, cette ville de RDC (le Zaïre à l'époque), frontalière du Rwanda, lors de l'été 1994.

J'y suis allée quelques semaines pour travailler comme journaliste (je venais d'avoir mon diplôme) d'une radio humanitaire. Des milliers de réfugiés rwandais avaient afflué dans cette ville au mois de juillet. Essentiellement, des populations hutu qui avaient fui devant l'arrivée des troupes du FPR, composées de Tutsi exilés notamment en Ouganda et en Tanzanie.

Ce que j'ai vu cet été-là était inédit pour une jeune femme de 23 ans comme moi (les camps de réfugiés, le choléra, etc.). Mais j'ose dire que cela m'a pas marquée autant que la difficulté pour moi de trouver un sens à ce "travail" que je n'ai jamais voulu envisager comme une mission. Comment expliquer que nous étions là pour assister des populations qui avaient sans doute participé aux tueries ?

A l'époque où j'étais à Goma, Berthe y avait trouvé refuge dans un orphelinat... un orphelinat sans doute semblable à ceux que j'ai visités. Berthe raconte combien ces moments là-bas ont été difficiles pour elle. Il était difficile et parfois dangereux d'être en exil dans une ville où les "tueurs" étaient partout. Berthe écrit :

"C'était un événement de voir les tueurs errer à Goma après avoir éliminé une partie de la population.... Les nôtres avaient été seuls, si seuls que le mot "seul" ne suffisait plus pour dire leur solitude. tandis que ces réfugiés de juillet, eux, avaient tout, sur leur tête, dans les voitures; ils avaient même les organismes humanitaires, présents pour les nourrir et pour ramasser les cadavres; rendre propre la ville de Goma. Au Rwanda, les cadavres des nôtres étaient partout, nus. non seulement la communauté internationale nous avait abandonnés, mais là elle s'occupait de nos tueurs, comme si l'humanité s'adressait aux uns et pas aux autres."

Ce que je lis aussi dans le témoignage de Berthe, c'est que le génocide était partout en germe dans la société rwandaise avant le mois d'avril 1994. La population tutsi était victime de discriminations, d'assassinats, de tueries, d'attentats depuis des années.

En visite au Rwanda, fin février 2010, le président français Nicolas Sarkozy qui était porte-parole du gouvernement en 1994 a reconnu des erreurs d'appréciation de la France à l'époque. En clair, les observateurs de notre pays au Rwanda n'auraient pas pris la mesure de ce qui était en train de se passer dans ce pays et auraient soutenu son gouvernement sans prendre conscience de ce qu'il commettait déjà. Pour moi, ce discours de la France est incompréhensible. Il aurait fallu être aveugle pour ne pas voir. Évidemment qu'on savait quand on a décidé d'armer et d'encadrer les tueurs. Et certainement aussi de les assister. De les aider. De les soutenir. Mais, au nom d'intérêts multiples, notamment économiques et géo-stratégiques, la France a été jusqu'au bout de sa logique, quitte à pactiser avec des racistes, des génocidaires. Personnellement, je ne me remets pas de ça non plus. On pourra me traiter de naïve, d'idéaliste. Ce sont des faits que je ne peux accepter. Ces gens ont agi au nom de la France, en notre nom, en mon nom.

Je ne peux l'accepter et le Rwanda, 16 ans après, fait plus que jamais partie de ma vie, même si je n'y suis jamais allée.

Cette année encore, je vais aller dans des classes parler de mon livre "Bienvenue à Goma". Plus que jamais, je comprends qu'il est important de parler à ceux qui n'étaient pas tous nés en 1994 du génocide des Tutsi au Rwanda et du rôle de la France.

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Commentaires
G
Nicolas Sarkozy, en février dernier, a reconnu à Kigali des "erreurs" et même "un certain aveuglement" de la France au Rwanda, durant la guerre civile qui allait aboutir au génocide de 1994.<br /> <br /> Ce langage diplomatique, je vous l'accorde, est insuffisant, voire insupportable au regard de la réalité incroyable du soutien de la France au camp des génocidaires. Mais il marque, heureusement, un progrès. Il nous démarque du propos méprisant de Francois Mitterrand: "Dans ces pays, vous savez, un génocide, ce n'est pas très important".<br /> <br /> Ceci dit, la reconnaissance de ces "erreurs" et de cet "aveuglement" demande des précisions. Il va falloir affronter les témoignages et les documents, exhumés par des chercheurs inlassables, pour mesurer toute la dimension de l'implication de la France dans le dernier génocide du XX ème siècle. C'est le sens de "l'appel citoyen" que viennent de lancer une série d'associations humanitaires et de personnalités de tous bords à l'adresse des autorités gouvernementales.
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