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Zou ! Le blog d'isabelle Collombat
12 février 2015

Les mots et les actes

D’abord. J’ai lu rapidement « Adresse aux intellectuels, journalistes, romanciers » sur le site aggiornamento (ce site rassemble essentiellement des enseignants et des chercheurs et a pour but d'émettre des réflexions et propositions pour un renouvellement de l'enseignement de l'histoire et de la géographie du primaire à l'université) auquel je suis abonnée. En diagonale. J’ai pris les mots en pleine face. Intellectuels, non. Mais journalistes et romanciers, oui. Je peux dire que je suis les deux, même si, aujourd’hui, j’ai choisi la fiction pour dire le réel.

Dans la fenêtre de ma boîte aux lettres mail, la suite ne s’est pas affichée « à toutes celles et tous ceux qui croient connaître les jeunes des quartiers populaires... ».  Je l’ai lu plus tard.

Je me suis dit en lisant le corps du texte que je n’étais pas vraiment destinataire de cette lettre. Mais je me sens concernée parce que j’écris, parce que j’observe, parce que je rencontre des jeunes un peu partout en France et parce que là où j’aime aller les enseignants s’excusent parfois du faible niveau scolaire de leurs élèves.

Le sujet m’intéresse, donc. Il me questionne depuis longtemps, depuis que je perçois la faille entre le monde tel que nous le racontent ceux qui détiennent les clefs du pouvoir, et donc du discours officiel véhiculé dans un bavardage indescriptible, et le monde tel que le vit le reste des gens, en clair une majorité pas forcément silencieuse et certainement pas monolithique.

Je fais partie de ceux qui ne reconnaissent pas leur réalité dans ce que racontent la plupart de ceux qui ont la parole dans les médias de masse.

Je fais aussi partie de ceux qui écrivent et qui ne veulent pas se contenter de mots.

Plus que jamais il faut créer et agir. Agir et créer. Créer et résister.

Le texte rédigé par les anciens du Conseil National de la Résistance, aujourd’hui presque tous disparus, me revient en mémoire : " Créer, c’est résister. Résister, c’est créer *."

Pour moi qui écrit pour les enfants et les adolescents, c’est, depuis le début, sortir de mon bureau et aller à la rencontre des jeunes, échanger, tenter de leur faire partager ma passion pour les mots, leur expliquer les valeurs auxquels je crois, leur donner des perspectives autres que celles du marché. Quel que soit leur métier, les adultes ont une responsabilité à l’égard des plus jeunes.

Le projet auquel j’ai participé cet automne dans le quartier des Minguettes à Vénissieux a du sens pour cette raison. Faire écrire

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des enfants, leur faire imaginer des histoires, passer du temps avec eux, affronter leur indifférence affichée, répondre à leur enthousiasme débordant, refuser des comportements, écrire pour eux.

En relisant l’adresse des profs d’aggiornamento, j’ai finalement été un peu déçue. J’ai certes pensé qu’ils avaient raison de dire leur colère, d’affirmer leurs positions, de revendiquer des combats. Seulement, j’ai regretté qu’ils ne s’adressent qu’à ceux qui s’agitent dans la lumière médiatique et qui gesticulent.

J’aurais aimé qu’ils nous lancent un appel à nous tous qui essayons d’agir par conviction.  Un appel à nous serrer les coudes et à continuer de résister à cette machine qui tente de broyer notre société toute entière. Et d’abord les plus jeunes. Nous sommes un certain nombre à penser que « maintenant, ça suffit », un certain nombre, et pas uniquement des profs, des universitaires, des écrivains, qui réinvestissons le terrain et qui tentons, jour après jour, de faire entendre d'autres voix, d'autres façons de voir le monde. 

*Appel lancé en 2004 par les anciens du Conseil National de la Résistance de 1944

«  Au moment où nous voyons remis en cause le socle des conquêtes sociales de la Libération, nous, vétérans des mouvements de Résistance et des forces combattantes de la France Libre (1940-1945), appelons les jeunes générations à faire vivre et retransmettre l’héritage de la Résistance et ses idéaux toujours actuels de démocratie économique, sociale et culturelle. Soixante ans plus tard, le nazisme est vaincu, grâce au sacrifice de nos frères et sœurs de la Résistance et des nations unies contre la barbarie fasciste. Mais cette menace n’a pas totalement disparu et notre colère contre l’injustice est toujours intacte.

Nous appelons, en conscience, à célébrer l’actualité de la Résistance, non pas au profit de causes partisanes ou instrumentalisées par un quelconque enjeu de pouvoir, mais pour proposer aux générations qui nous succéderont d’accomplir trois gestes humanistes et profondément politiques au sens vrai du terme, pour que la flamme de la Résistance ne s’éteigne jamais :

Nous appelons d’abord les éducateurs, les mouvements sociaux, les collectivités publiques, les créateurs, les citoyens, les exploités, les humiliés, à célébrer ensemble l’anniversaire du programme du Conseil national de la Résistance (C.N.R.) adopté dans la clandestinité le 15mars1944 : Sécurité sociale et retraites généralisées, contrôle des " féodalités économiques", droit à la culture et à l’éducation pour tous, une presse délivrée de l’argent et de la corruption, des lois sociales ouvrières et agricoles, etc. Comment peut-il manquer aujourd’hui de l’argent pour maintenir et prolonger ces conquêtes sociales,alors que la production de richesses a considérablement augmenté depuis la Libération, période où l’ Europe était ruinée ? Les responsables politiques, économiques, intellectuels et l’ensemble de la société ne doivent pas démissionner, ni se laisser impressionner par l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui menace la paix et la démocratie.

Nous appelons ensuite les mouvements, partis, associations,institutions et syndicats héritiers de la Résistance à dépasser les enjeux sectoriels, et à se consacrer en priorité aux causes politiques des injustices et des conflits sociaux, et non plus seulement à leurs conséquences, à définir ensemble un nouveau "Programme de Résistance " pour notre siècle, sachant que le fascisme se nourrit toujours du racisme, de l’intolérance et de la guerre, qui eux-mêmes se nourrissent des injustices sociales.

Nous appelons enfin les enfants, les jeunes, les parents, les anciens et les grands-parents, les éducateurs, les autorités publiques, à une véritable insurrection pacifique contre les moyens de communication de masse qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation marchande, le mépris des plus faibles et de la culture, l’amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre tous.

Nous n’acceptons pas que les principaux médias soient désormais contrôlés par des intérêts privés, contrairement au programme du Conseil national de la Résistance et aux ordonnances sur la presse de 1944.

Plus que jamais, à ceux et celles qui feront le siècle qui commence, nous voulons dire avec notre affection : " Créer, c’est résister. Résister, c’est créer ". »

Lucie Aubrac, Raymond Aubrac, Henri Bartoli, Daniel Cordier, Philippe Dechartre, Georges Guingouin, Stéphane Hessel, Maurice Kriegel-Valrimont, Lise London, Georges Séguy, Germaine Tillion, Jean-Pierre Vernant, Maurice Voutey.

 

 

 

 

 

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